L'évolution de l'homme
 
La lignée humaine
C'est un doux euphémisme que d’affirmer que la généalogie humaine est un peu embrouillée. Comment pourrait-il en être autrement compte tenu de la rareté des fossiles, de leur état fort incomplet et de la complexité du problème posé. Des esprits sarcastiques disent même qu'il y a autant de généalogies possibles que de paléontologues en activité...

Crâne d'homme de Neandertal (Homo neanderthalensis).

Diversité des hominidés

Ce qui est frappant, lorsqu’on tente de faire l'inventaire des hominidés (famille regroupant les espèces de la lignée qui a abouti à l’homme et, pour certains chercheurs, les gorilles et les chimpanzés), c'est la grande variété des formes mises à jour par les paléontologues. Certes, pour chaque découverte, on observe une tendance assez naturelle à vouloir créer une nouvelle espèce. En outre, lors des reconstitutions de squelettes, des os de diverses origines ont parfois pu être attribués à un même individu. Il n’empêche que l’on obtient un groupe d'hominidés assez conséquent, et bien diversifié, d'autant plus que tous n'ont pas encore été découverts : nous sous-estimons donc très certainement le nombre des espèces qui ont jadis présenté, à des degrés divers, des caractères humains.

Crâne d'homme de Neandertal (Homo neanderthalensis).

Ainsi, une foule d'hominidés se seraient croisés sur la scène préhistorique, auraient cohabité ou se seraient succédé, sur des périodes plus ou moins longues. En Afrique, il y a environ deux millions d'années, par exemple, on trouvait simultanément des australopithèques, des paranthropes et des représentants du genre Homo, celui de notre propre espèce (Homo sapiens). Plus près de nous – il y a 50 000 à 30 000 ans –, des neanderthalensis ont côtoyé des sapiens. Cependant, de toutes ces espèces, une seule a survécu, la nôtre.

Du rififi chez les ancêtres

Qui est le plus vieil ancêtre de l'homme ? Difficile de répondre. À la fin de l'an 2000, on pouvait désigner sans hésiter Millenium ancestor,également appelé Orrorin tugenesis (« homme originel »), un bipède avéré – ce qui signifie qu’il se déplace dressé sur ses deux jambes –, mais encore bon grimpeur, découvert au Kenya par l'équipe franco-kenyane de Martin Pickford et Brigitte Senut. En fait, ces ont mis au jour les restes (parmi lesquels un fémur présentant des traces de canines laissées par un gros félin) de six individus, dont un enfant, ayant vécu il y a près de 6 millions d'années.

Toutefois en 2001, Ardipithecus kadabba (nom qui signifie « ancêtre basique de la famille ») a fait son apparition grâce aux fouilles de Hailé-Sélassié en Éthiopie. Ayant vécu il y a 5,8 à 5,2 millions d'années, il est certes plus jeune que « l’Ancêtre du millénaire » présenté ci-dessus. Cependant, ses découvreurs ne considérant pas Orrorin comme étant sur la voie de l'hominisation, ils estiment avoir exhumé notre plus vieil ancêtre direct. Il va sans dire que les découvreurs de Orrorin ne font pas tout à fait la même analyse de la situation. Deux postulants pour une seule place… dans l’attente d’un troisième larron ?

La foire aux australopithèques

Depuis la découverte des premiers restes d'australopithèque en 1924 – ceux de « l'enfant de
Taung », en Afrique du sud) –, la collection d'os divers et variés provenant de ce groupe d'hominidés n'a cessé de s'enrichir. Le point culminant de cette quête, médiatiquement parlant, a certainement été l’exhumation en 1974 en Éthiopie du squelette fort complet de Lucy, une petite dame respectable de 3,2 millions d'années.

Les paléontologues reconnaissent pratiquement une dizaine d'espèces différentes, réparties en deux groupes : les australopithèques graciles (comme Australopithecus afarensis, dont Lucy est l’un des représentants, mais aussi A. anamensis, A. africanus, A. bahrelghazali) et les australopithèques robustes, appelés depuis peu « paranthropes » (comme Paranthropus boisei, P. robustus, P. aethiopicus et enfin P. crassidens… que certains paléontologues ne distinguent pas de P. robustus !). Tous sont plus ou moins bipèdes, même s’ils continuaient de fréquenter les arbres.

Crânes et os humains fossilisés découverts au cours d'expéditions en Afrique dirigées par Richard Leakey durant les années 1970 et 1980. De gauche à droite : Homo habilis, Homo erectus et Paranthropus robustus, datant de 1,5 million d'années.

Crânes et os humains fossilisés découverts au cours d'expéditions en Afrique dirigées par Richard Leakey durant les années 1970 et 1980. De gauche à droite : Homo habilis, Homo erectus et Paranthropus robustus, datant de 1,5 million d'années.

Les premiers sont des petits formats, ne dépassant guère 1,30  m pour une quarantaine de kilos. Australopithecus anamensis tend àêtre rangé dans un autre groupe car son squelette est beaucoup plus « humain » (il sera sans doute renommé « préanthrope », Praeanthropus africanus). C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles certains paléontologues en font un ancêtre possible d'Homo habilis et d'Homo sapiens (c'est-à-dire de nous). Par contre, pour la plupart des paléontologues, Lucy n'est pas notre arrière-grand-mère mais une sorte d'arrière arrière-cousine que l'on aurait perdue de vue depuis longtemps.

Les australopithèques du second groupe, les paranthropes ou « robustes », comme l’indique cet adjectif, sont de constitution un peu plus forte. Paranthropus boisei, par exemple avait une taille comprise entre 1,50 et 1,70 m et pesait près de 100 kg ! Ils sont également caractérisés par un crâne avec une crête sagittale plutôt marquée (indiquant la présence de muscles masticateurs puissants), une mâchoire massive et un émail dentaire très épais. On les retrouve dans des gisements datés entre - 2,6 et - 1,2 millions d'années. Trop spécialisés, ces hominidés contemporains de Homo habilis sont unanimement exclus de la lignée humaine « directe ».

Inter : Out of Africa

Résumons un peu, et tentons de garder l'esprit clair : vers - 10 millions d'années, vivait samburupithèque, le dernier ancêtre connu que nous ayons en commun avec les singes (et dont le statut est à peu près accepté par toute la communauté scientifique). Ensuite, on ne sait pas grand-chose jusqu'à - 6 ou - 5,5 millions d'années, époque à laquelle deux ancêtres se battent pour le titre. Plus tard, vers - 4 millions d'années, nous avons un relais contesté par un préanthrope ou un australopithèque. Puis encore un grand vide jusqu'à Homo habilis (dont le statut et parenté font l'objet de controverses) vers - 2,5 millions d'années. À ce point de l'histoire, et jusqu'à nouvel ordre, c'est en Afrique que les hominidés prospèrent, à l'Est et au Sud essentiellement, sauf dans le cas d’Abel (Australopithecus bahrelghazali), qu'on a retrouvé au Tchad et qui a obligéà réaménager plus ou moins profondément la théorie dite de « l'East Side Story » défendue par le Français Yves Coppens.

Homo habilis est un individu encore chétif (1,3 m) et arboricole, mais il fabrique des outils. Il est contemporain d'un certain Homo rudolfensis et aurait donné naissance, ce qui est encore discuté compte tenu de la stature du rejeton, à un grand costaud, Homo ergaster, il y a environ 1,9 million d'années. Ce dernier est un bipède, un pur, un vrai, qui parcourt la savane du haut de son mètre soixante-dix. C'est un chasseur de gros gibier avec des armes ad hoc. D'Afrique, il part conquérir le monde, l'Asie où, pour certains paléontologues, il donnera naissance àHomo erectus mais aussi l'Europe (il y a 1,7 million d'années, c'est l'âge du premier Européen)... à moins que ce soit H. habilis le voyageur, les paris sont encore ouverts.

L'histoire de l'homme (car on est homme véritable dès lors que l'on appartient au genre Homo) une fois parti d'Afrique, reste mal connue. Les grandes migrations, suivies de périodes d’isolement, font que l'on observe l'émergence d'espèces locales comme celle de Neandertal. L’homme de Cro-Magnon, Homo sapiens (encore appeléH. sapiens sapiens par ceux qui font aussi de l’homme de Neandertal un sapiens) entre en scène en Afrique il y a environ 100 000 ans, et se répand ensuite sur tous les continents. Il poursuit encore sa route en 2001 et tente d'aller vers Mars après un petit crochet par la Lune.

Rameaux éteints

Les ancêtres directs de l'homme ont disparu, et des espèces d'hominidés des rameaux voisins ont subi le même sort. Peut-être n’étaient-ils pas assez « performants » dans leurs adaptations, face à la concurrence d’autres espèces et aux modifications de leur environnement ?

Les paranthropes, issus des australopithèques, qui ont fréquenté Homo habilis, ont disparu malgré leur robustesse, et en dépit du fait qu'ils utilisaient sans doute des outils sommaires. Plus près de nous, l'homme de Neandertal, qui a vécu entre - 300 000 et - 30 000 ans, s’est également éteint. A-t-il été victime d'un conflit frontal avec Cro-Magnon qui l'aurait banni de ses terrains de chasse, ou d'une modification trop profonde de son habitat ? Nul ne le sait encore.

Les prémices de la civilisation

Le développement de la civilisation humaine est marqué de trois jalons particulièrement importants : l’apparition d’outils de pierre ou de bois, travaillés selon des techniques de plus en plus élaborées, l’abandon d’une vie nomade avec les premières formes d’agriculture et l’émergence des rituels, des traditions et des premières formes d'art.

La viande : une clef de l'évolution de l'homme ?

L'introduction de la viande dans le régime alimentaire de l'homme (sans doute à partir d'Homo habilis, il y a 1,5 ou 2 millions d’années) va le différencier définitivement de ses cousins simiesques. Au départ, vraisemblablement, il se nourrit essentiellement de charognes tuées par les grands carnivores ou de petites proies faciles à attraper. Ensuite, il se transforme en chasseur, et son efficacité va progressivement supplanter celle de tous les autres grands carnivores

Le régime carné aura plusieurs conséquences importantes sur l'évolution de l'homme. La première tient aux caractéristiques diététiques de la viande : les protéines qu'elle contient sont très digestes et surtout plus énergétiques que la majorité des végétaux. L’homme consacre donc désormais moins de temps à la consommation et à la digestion de la nourriture. C'est une porte ouverte pour un « temps libre » dédiéà la création technologique et au développement des liens sociaux.

La seconde conséquence tient dans le fait que cette nouvelle habitude alimentaire nécessite et stimule la création d’outils : des racloirs et des tranchoirs pour arracher et découper, des masses pour briser les os et surtout, des armes de plus en plus sophistiquées pour tuer les proies. Pour être fructueuse, la chasse exige aussi un travail d’équipe, avec une coordination de tous les participants. Elle a donc dû permettre un développement des relations sociales et en particulier de la communication. À terme, elle fournira également de nouvelles matières premières (os, ligaments, peau etc.) entrant dans la composition des créations humaines, telles que les vêtements.

La paix du feu

L’utilisation du feu, découvert par Homo erectus il y a environ 500 000 à 400 000 ans, a certainement été une des innovations humaines les plus marquantes. Grâce au feu, il a pu combattre le froid, avoir de lumière en pleine obscurité (ce qui a certainement développé la vie sociale), transformer les aliments en les rendant plus digestes par la cuisson, et durcir la pointe de ses armes. On présume le plus souvent, mais sans preuve réelle, que l'homme a tout d'abord maîtrisé et employé le feu naturel avant de savoir le faire naître et le conserver.

Le feu a probablement assuré également une protection supplémentaire contre les prédateurs, mais ceci doit sans doute être relativisé. En effet, les grands carnassiers avaient déjà appris à se méfier de ces bipèdes capables de leur jeter des pierres et plus d'un, surpris par les projectiles et les cris, avaient dû renoncer à ces proies décidément retorses.

Des outils de plus en plus précis

Outils de silex provenant du site de Willendorf (Basse-Autriche). Naturhistorisches Museum, Vienne.

Les premières traces d’outils travaillés remontent à Homo habilis, mais des chercheurs n'excluent pas que des australopithèques aient aussi pu concevoir quelques instruments rudimentaires. Au départ, ce ne sont que des galets « aménagés », sur lesquels quelques fragments ont été enlevés par le choc d'une pierre (percuteur) pour créer une arête tranchante. On trouve en Afrique des objets de ce type datant d’il y a 2,5 millions d'années environ.

Outils de silex provenant du site de Willendorf (Basse-Autriche). Naturhistorisches Museum, Vienne.

Plus tard, avec les Homo erectus, en particulier les archanthropiens, apparaissent des objets plus sophistiqués : les bifaces. Comme leur nom l’indique, ils sont travaillés sur les deux faces, ce qui leur confère une plus grande efficacité (bien que les plus primitifs conservent une extrémité non travaillée). Ce style archaïque est qualifié d'Abbevillien (800 000 ans). Le biface est alors un outil à tout faire, servant à couper, racler ou creuser. Dans certaines régions, des éclats, sommairement retouchés, sont également utilisés comme racloirs ou comme pointes. Avec le temps, ces bifaces vont être travaillés de plus en plus finement, jusqu'à prendre la forme d'amandes parfaites.

Plus tard, mais toujours au cours du paléolithique, on retrouve des outils en bois (- 400 000 ans) puis apparaît une nouvelle technique de taille, dite « Levallois », dans laquelle une importance fondamentale est donnée au « nucleus », le nodule de base à partir duquel on extrait des éclats et qui ne sert pas lui-même en tant qu'outil (- 200 000 ans). Le mésolithique (- 14 000 ans) voit se développer l'industrie du microlithe (outils en pierre taillée), obtenu par un procédé particulier de fragmentation d'une lamelle placée en appui sur l'arête d'une enclume. Les pointes de flèches produites à cette époque atteignent une quasi-perfection et témoignent de l'usage généralisé de l'arc. Les têtes de haches acquièrent une forme encore plus régulière et annoncent le néolithique, l'âge de la pierre polie.

L'homme ou la femme ?

Regardez les illustrations ornant les textes consacrés à la préhistoire : qui chasse, qui manipule le feu, qui défend le clan, qui fabrique les armes, les poteries ? En clair, qui fait tout et a tout inventé ? L'homme bien sûr ! Les femmes ne sont bien souvent que de pauvres créatures, plutôt peureuses, frileusement blotties autour du feu, ne faisant guère autre chose qu'allaiter leurs marmots. Nul besoin d'être un (ou une) féministe convaincu pour se demander si cette vision de la vie préhistorique est objective, ou si elle est le fruit d'une tendance très masculine d’interpréter la science.

Evelyn Reed, une anthropologue américaine, a osé, il y a quelques années déjà, critiquer cette mâle vision des choses. Ses écrits, parfois provocateurs, voire excessifs, tendent à redonner une place aux femmes préhistoriques (et à toutes les autres d'ailleurs). Selon elle, les hommes étant souvent partis pour des périodes plus où moins longues à la chasse, les femmes, restées au campement, avaient tout le loisir de se creuser les méninges entre deux cueillettes pour résoudre moult problèmes liés à la survie du clan. Elles ont pu par exemple apprendre à faire du feu, à l'entretenir, à créer des objets... De là à croire que les femmes ont tout inventé pendant que les hommes passaient leur temps à courir après le gibier...

Arts et traditions

Cheval et aurochs. Détail d'une reconstitution des peintures rupestres de la salle des Taureaux à Lascaux. Art pariétal paléolithique (civilisation magdalénienne) . Musée des Antiquités nationales, Saint-Germain-en-Laye.

C'est avec l'homme de Neandertal qu'apparaissent les premiers enterrements intentionnels. En Europe et au Proche-Orient, un grand nombre de sépultures datant de cette période retrouvées par les paléontologues contiennent des objets ou des offrandes (outils, restes animaux, fleurs…). L’Homo sapiens sapiens apportera encore plus de soins aux rituels funéraires. Les fosses sont décorées avec de l'ocre rouge, symbole manifeste du sang et de la vie. Elles contiennent désormais des objets de parure, composés avec des coquillages et des dents. Les sépultures féminines individuelles et celles des enfants en bas âge sont rares, et contiennent moins d’objets que celles des hommes.

Cheval et aurochs. Détail d'une reconstitution des peintures rupestres de la salle des Taureaux à Lascaux. Art pariétal paléolithique (civilisation magdalénienne) . Musée des Antiquités nationales, Saint-Germain-en-Laye.

L'art pariétal (ou rupestre), celui qui s'affiche sur les parois des grottes, débute il y a environ 35 000 ans par une période pré-figurative : les premières œuvres des cavernes sont des blocs de pierre ou des os portant de simples incisions. De - 30 000 à - 25 000 ans, on trouve des dessins d'animaux, des empreintes de mains, des représentations vulvaires (qui se limitent donc à l’entrejambe féminin), ainsi que des motifs géométriques (points et bâtonnets). Datée de 31 000 ans, la grotte de Chauvet fait figure d’exception, avec ses fresques animales.

Ensuite, se développent les grandes fresques pariétales, tandis qu’apparaissent des sculptures en ivoire, en os ou en pierre comme les vénus et autres représentations féminines. Entre - 17 000 et - 12 000 ans, l'art rupestre connaît son âge d'or (grotte de Lascaux). Le modelé s'affirme et les détails se précisent, puis, l'équilibre des proportions, les dégradés, les détails anatomiques (crinières des chevaux, par exemple) signent son aboutissement. Après - 12 000 ans, à l'approche du néolithique, l'art pariétal régresse et disparaît.

La culture animale

L’homme n’est pas le seul à montrer des aptitudes intellectuelles, à utiliser des outils et même à avoir des traditions. Quelques animaux font preuve de dispositions comparables même si leur degré de complexité est loin d'égaler celui que notre lignée a atteint. Mais pourquoi diable les animaux sont-ils arrêtés sur le chemin de la culture ?

L'animal et l'outil

Une des étapes marquantes dans l'évolution de l'homme est la bipédie qui, en libérant la main de ses fonctions locomotrices (pour marcher « à quatre pattes » ou grimper), a favorisé la création de l'outil. Cependant, si l'instrument sophistiqué demeure une exclusivité humaine, un petit nombre d'espèces animales utilise des outils rudimentaires. Toutefois, à la différence de l’homme, les animaux ne conservent jamais un outil particulier, même si celui-ci se révèle très efficace. Ils laissent au hasard le soin de mettre l'objet adéquat sur leur route, ou le recherchent activement lorsqu'ils en ont besoin. Ce fait n'est pas la preuve d'un manque d'intelligence : les outils potentiels se trouvent en abondance autour d'eux, inutile donc de les conserver et de les porter entre deux utilisations.

Les outils des animaux sont donc à usage unique. Seule exception, les pierres massives et difficilement transportables sur lesquelles les chimpanzés calent des noix ou autres fruits résistants qu’ils brisent à l’aide d’un bâton ou d’une pierre. Ces pierres, qui font office d’enclumes et dont les marques d'usure sont bien visibles à force d'utilisation, demeurent au pied des arbres fruitiers. D’autres d'animaux, au cerveau nettement moins développé que celui des chimpanzés, ont des aptitudes voisines. La loutre de mer du Pacifique nord a ainsi l'habitude de faire la planche sur l’eau. Elle en profite pour poser un caillou sur son ventre sur lequel elle cogne les coquillages dont elle se nourrit pour les casser. Pour briser les coquilles d'escargots, les grives les frappent sur des cailloux. Quant au pinson des Galápagos, il a un bec court et conique qui ne lui permet pas de capturer les insectes qui se cachent dans les crevasses des troncs d'arbres. Malin, il utilise une épine de cactus et l'introduit dans les fentes pour embrocher les insectes. Si l'épine est trop longue, il la casse en deux pour obtenir la longueur appropriée.

À chacun ses traditions

Chez les animaux, nombre de comportements ne sont pas uniquement déterminés par la génétique mais résultent d’un apprentissage, d’une transmission par les aînés de « traditions locales ». Ainsi, le chant des pinsons n'est-il pas le même dans toutes les régions de France : celui des pinsons du Nord diffère de ceux du Sud. Ils ont un « accent » qui leur a été transmis par leurs parents.

Certains macaques essuient leurs aliments avec des feuilles avant de les consommer et, sur une île japonaise, d’autres individus de la même espèce salent les patates en les plongeant dans l'eau de mer. Ces habitudes, ces comportements sont hérités de génération en génération par le biais d'un apprentissage, et forment ce que l'on peut appeler une culture animale.

Le langage animal

L'acquisition du langage a été un élément déterminant dans l'évolution de l'homme. De nombreuses espèces animales pratiquent des formes élaborées de communication qui, chez certaines, s’apparentent à un langage (quoique incomparablement plus simple). Cette communication peut être fondée sur des signaux chimiques (phéromones), auditifs (chants, cris en tout genre), visuels (colorations, mimiques, gestes) ou encore des signaux électriques. Le langage animal est plus ou moins complexe, plus ou moins rigide et, en général et jusqu'à preuve évidente du contraire, sert à transmettre des informations fondamentales portant sur la défense du territoire, la recherche de partenaires sexuels, l'établissement de la hiérarchie au sein d'un groupe, etc.

Rendre les animaux capables de communiquer avec nous a toujours été une obsession. Les seuls animaux que l'on ait réellement réussi à faire parler se limitent à quelques espèces d'oiseaux (perroquets ou mainates) et des singes. Pour les premiers, des vocalisations très semblables aux paroles humaines peuvent être obtenues avec un peu de patience, mais elles traduisent seulement les talents d'imitateur de ces animaux.

Avec les singes, l'entreprise semblait plus prometteuse dès le départ car ils sont plus proches de nous sur le plan évolutif. La première tentative fut réalisée par le couple Hayes avec leur guenon Viki. Toutefois, l'anatomie de l'appareil phonatoire du singe étant ce qu'elle est, cette tentative s'est soldée par un échec : il fallait beaucoup de conviction pour entendre « papa » ou « maman » dans les gargouillis de Viki. C'est pourquoi les équipes suivantes ont préféré utiliser un langage qui ne soit pas basé sur des vocalisations.

Les Gardner ont appris l'ameslan (le langage américain des sourds-muets) à leur chimpanzé Washoe, et les Premack ont utilisé pour leur guenon Sarah des jetons de couleurs aux formes abstraites. Ces expériences ont connu davantage de succès et les singes ont appris à former des phrases relativement simples (par exemple « Toi donner banane » ou « Jim donner balle à Sarah »). Dans certaines situations, ces élèves ont même créé de nouveaux mots et ont régulièrement pris l'initiative d'un échange avec leur maître. Par contre, ils n'ont que très rarement appris ce langage à leurs rejetons ou même communiqué entre eux de cette façon. Cela peut paraître décevant mais la raison est probablement très simple : ils n'en ont pas besoin. Tout ce qu'ils ont à se dire l’est en deux grognements et un regard. Il faudrait sans doute des conditions exceptionnelles et prolongées, et que leur survie en dépende, pour qu'ils utilisent couramment un langage de ce type.

Le piège de l'anthropomorphisme

Bien que l'on puisse retrouver chez certains animaux des compétences ou des comportements que nous avons nous, humains, il ne faut pas pour autant à céder aux sirènes de l'anthropomorphisme. Leur attribuer sans réserve les sensations, les sentiments ou les pensées que nous avons est une attitude fréquente mais erronée. Cette réaction est d'ailleurs assez naturelle car nous adoptons souvent le même type de comportement à l'égard de nos congénères ce qui est, déjà, source de malentendus, voire de conflits. Plutôt que de projeter nos propres ressentis, nous ferions mieux de nous demander ce que l'animal ressent vraiment, quelle est SA perception du monde.

L'anthropomorphisme a étéà l'origine d'une guerre fratricide chez les primatologues qui se consacraient à l'apprentissage du langage chez le singe. Des scientifiques affirmaient, par exemple, avoir des discussions philosophiques sur la mort avec leur gorille, tandis que des linguistes purs et durs, refusaient d'admettre (définition précise du langage à l'appui) cette possibilité d'apprentissage chez le singe. La réalité naviguant bien souvent entre deux eaux, les prouesses des singes communicants devaient certainement se trouver quelque part entre ces deux extrêmes. Quoi qu’il en soit, le conflit a eu des répercussions plutôt négatives sur ce type de recherches.

Nous remercions le site Webencyclo  pour sa documentation