Extinction des espèces
 
 

Deux chercheurs ont évalué le temps nécessaire à la restauration de la biodiversité. Les extinctions actuelles dues à l'activité des hommes vont diminuer la biodiversité pour des millions d'années à venir.» Cette phrase accusatrice est de James Kirchner, géologue à Berkeley (Californie), et d'Anne Well, anthropologue à l'université Duke (Caroline du Nord). Publiée aujourd'hui dans la revue britannique Nature (1), elle prend place dans un article inquiétant sur la vitesse à laquelle la vie a retrouvé richesse et diversité après les cinq grandes extinctions de masse qu'elle a connues depuis 200 millions d'années.

 

Jusqu'alors, les paléontologues voyaient le scénario de reconquête de manière plutôt optimiste. En gros, une bonne crise avait du bon, côté biodiversité. La disparition de branches entières de l'arbre du vivant permettait aux jeunes pousses de se faire une place au soleil. Exit les dinosaures, il y a 65 millions d'années, et voici les mammifères, donc l'homme.

Bien que plusieurs périodes récurrentes d'extinction de masse soient survenues au cours des temps géologiques, l'épisode contemporain d'extinctions n'est pas naturel mais résulte entièrement de l'action de l'homme.

        L'extinction au cours des âges

Depuis le début de l'ère primaire ont été dénombrées au total 17 périodes d'extinctions massives, dont celle du permien, à la fin de l'ère primaire, la pire de tous les temps paléontologiques, qui a provoqué la disparition de plus de 80 % des espèces qui peuplaient alors la biosphère. Ces épisodes d'extinction ont été chaque fois suivis de phases d'accroissement de la biodiversité.

La dernière période d'extinction, qui a commencé avec les glaciations du quaternaire, et qui se poursuit encore de nos jours, s'est considérablement accélérée voici 11 000 ans. Elle s'est accompagnée de la disparition de la quasi-totalité de la grande faune de mammifères terrestres. L'espèce humaine y a joué un rôle quasi exclusif, les chasseurs paléolithiques ayant exterminé la grande faune de vertébrés terrestres qui survivait encore au moment des glaciations. Par exemple, les mammouths et les rhinocéros laineux n'ont pas pu survivre aux effets simultanés du rétrécissement de leurs habitats et d'une chasse impitoyable.

Cependant, le rythme des extinctions a connu une accélération sans précédent au cours de la période historique. Ainsi l'homme a-t-il déjà fait disparaître 151 espèces de vertébrés supérieurs au cours des derniers 400 ans. Tous les continents ont été affectés, chacun d'eux ayant perdu plusieurs espèces de mammifères ou d'oiseaux dont les populations initiales étaient parfois très nombreuses. Leur extermination est la conséquence, en règle générale, d'une chasse effrénée.

Les spécialistes de l'évolution considèrent qu'au cours des périodes géologiques il ne disparaissait pas plus d'une espèce de vertébrés tous les 50 à 100 ans. Au cours des quatre derniers siècles, la vitesse d'extinction a atteint la moyenne d'une espèce tous les 2,7 ans.

Bien que cette vitesse apparente soit déjà plus de vingt fois supérieure à celle des rythmes d'extinction des époques géologiques passées, elle est tout simplement dérisoire par rapport à sa valeur actuelle. Celle-ci atteint un rythme 1 000 à 10 000 fois supérieur à celui qui a caractérisé les périodes géologiques d'" extinction de masse " si l'on prend en compte tous les groupes d'êtres vivants.

        Les causes d'extinction

Les changements climatiques et autres catastrophes naturelles, y compris cosmiques, comme l'impact d'un astéroïde avec la Terre qui pourrait avoir marqué la fin du secondaire voilà 65 millions d'années et être responsable de la disparition des dinosaures en particulier, ont été la seule cause des périodes d'extinction de masse du passé.

À l'opposé, l'épisode actuel d'extinction résulte entièrement de l'action de l'homme sur les écosystèmes. Les prélèvements de plantes, la chasse ou la pêche jouent un rôle important. Cependant, la destruction des habitats et les introductions d'espèces sont la raison principale des extinctions.


        L'importance des extinctions actuelles

La cause prépondérante des extinctions dues à l'action de l'homme moderne est l'éradication des forêts pluvieuses tropicales. Ces forêts renferment en effet la majorité des espèces qui peuplent la biosphère : le nombre de ces espèces est estimé généralement à 12 millions d'espèces vivantes (mais varie de 2,4 à 30 millions selon les experts), la plupart vivant dans la canopée (sommet des arbres).

L'impact majeur que présente cette destruction des forêts pluvieuses tropicales sur les espèces qui y habitent provient non seulement de leur richesse spécifique extraordinaire mais aussi de leur important endémisme. Beaucoup d'espèces n'y occupent qu'une aire géographique restreinte et présentent une répartition spatiale et une niche écologique de volume très limité.

Il existe d'importantes divergences dans l'évaluation du rythme d'extinction d'espèces causée par la destruction des forêts pluvieuses tropicales. Ces divergences résultent des écarts constatés dans l'estimation de la surface des écosystèmes éliminée chaque année et des incertitudes quant à leur richesse spécifique totale. Le nombre total d'espèces disparaissant annuellement est aujourd'hui encore indicatif, car il est extrapoléà partir d'hypothèses qui se fondent à la fois sur des estimations de la biodiversité et sur celles du taux de déforestation. On peut penser qu'environ 50 000 espèces de plantes supérieures, essentiellement dans ces forêts, pourraient disparaître d'ici le milieu du prochain siècle.

De façon générale, c'est la flore des îles qui a subi le plus d'extinctions, en particulier dans les régions tropicales, conséquence de leur important endémisme. Ainsi, à l'île Maurice, 19 espèces de plantes, pour la plupart des arbres, ont disparu à jamais, et plusieurs autres ne se reproduisent plus, tel le Calvaria major dont il ne reste plus que quelques individus isolés âgés de plus de trois siècles. Cela provient de ce que l'espèce d'oiseaux assurant la germination des graines de cet arbre, le dodo (Raphus cucullatus), qui se nourrissait de ses fruits, a disparu depuis le XVIIe siècle, exterminé par les
navigateurs.


On ne connaît plus certaines plantes des forêts tropicales que par un seul exemplaire relictuel, ou par quelques-uns. Un des cas extrêmes est un arbuste des forêts pluvieuses atlantiques de l'Équateur (Dicliptera dodsoni), dont il ne subsiste plus qu'un seul individu. Dans la même forêt, on ne connaît que quelques pieds de l'inga, tandis qu'un autre arbre, le jaunchee (Duguettia peruvianana), autrefois le plus commun de ces forêts, a disparu dans la première moitié de ce siècle. De la même façon, les trois quarts des espèces de mammifères et d'oiseaux en danger de disparition citées par le Livre rouge des espèces en danger de l'UICN (Union internationale de conservation de la nature) vivent dans des forêts tropicales.

Parmi les espèces les plus menacées figurent un grand nombre d'espèces arborées et herbacées - de la famille des orchidées, des broméliacées, ainsi que de nombreuses espèces de plantes grasses -, mais aussi divers végétaux des écosystèmes méditerranéens, en particulier des milieux insulaires.

De façon générale, les régions caractérisées par des écosystèmes méditerranéens (Californie, centre du Chili, sud de l'Afrique australe, Australie méridionale) viennent au second rang pour leur biodiversité, après celle des forêts pluvieuses tropicales, et renferment, après elles, le plus grand nombre de plantes et d'animaux en danger. En France même, quelques espèces végétales ont déjà disparu, tel le Myosotisrusconensis du littoral languedocien.

L'extermination de la faune est pratiquée à une échelle de plus en plus vaste, qui affecte autant les milieux continentaux que les milieux océaniques. Elle raréfie dangereusement les grandes espèces. Tel est le cas des cétacés, en particulier des baleines, ou encore des rhinocéros africains.

Malgré son aspect spectaculaire, l'extinction des grands vertébrés ne constitue qu'une très faible part de la destruction de la biodiversité animale. Si l'on compte une moyenne de vingt espèces d'insectes et autres arthropodes inféodées à chacune des plantes en danger d'extinction propres aux forêts, on constate que cela représente déjà, au minimum, un million d'espèces. En conséquence, le nombre d'espèces d'invertébrés menacées de disparition au cours des toutes prochaines décennies se chiffre, lui, en millions.

        Pauvre-riches

Un scénario critiqué par les deux scientifiques. Dans un monde appauvri en espèces biologiques, le nombre de niches écologiques différentes, donc susceptibles de sélectionner de nouvelles espèces, est lui aussi réduit. Tout simplement parce que ces niches sont en grande partie constituées par des espèces végétales et animales. On vit dans l'eau, sur l'air ou sur terre, mais on mange le voisin... et si les voisins sont peu nombreux ou trop

souvent les mêmes, la sélection naturelle opère sur peu de  paramètres et quelques espèces ont tendance à occuper toute la place. Du coup, le retour à un monde riche demande un processus plus lent qu'envisagé jusqu'alors.  Outre le raisonnement, les deux chercheurs se sont penchés sur les archives fossiles de deux groupes taxonomiques marins - le niveau des familles et celui des genres. Histoire de voir le temps qu'il faut, après les grandes extinctions, pour un retour de la diversité. Résultat: il faut attendre environ dix millions d'années après une crise pour que se produise une flambée d'apparition de familles et de genres nouveaux. Et donc pour que la nature retrouve un niveau de biodiversité équivalent.

        Appel à la sauvegarde

Jusqu'alors, les plus pessimistes comptaient sur une durée de moins de cinq millions d'années. Or, l'homme, prédateur mais surtout destructeur de biotopes entiers transformés en espaces cultivés au profit de quelques espèces seulement, exerce sur la biodiversité une pression pratiquement équivalente aux grandes crises d'hier. Au point que les biologistes en sont à supplier que l'on sauvegarde quelques «sanctuaires» (lire Libération du 24 février dernier) pour éviter la disparition massive d'espèces endémiques. Un processus dont les conséquences, nous disent les deux chercheurs américains, sont à vraiment très long terme, bien plus long que les moins de 200 000 ans d'existence d'une espèce bien singulière, Homo sapiens.  SYLVESTRE HUET (©Libération du 9 mars 2000) (1) J. Kirchner et A. Well, Nature, vol. 404, 9 mars 2000.

      Comment freiner l'extinction annoncée des espèces vivantes

Urbanisation, déforestation et agriculture intensive accélèrent l'appauvrissement de la biodiversité. Or, préviennent deux chercheurs américains, la reconstruction des écosystèmes exige dix millions d'années, quelle que soit la sévérité des destructions qu'ils ont subies

Conséquence de la négligence des hommes face à la nature, la plupart des espèces vivantes répertoriées sont en voie d'appauvrissement ou de disparition, à une vitesse très supérieure à celle des grandes périodes géologiques d'extinction. L'étude des fossiles correspondant à ces époques montre que la vitesse de reconstruction des écosystèmes est indépendante de l'ampleur des destructions. Cette constatation étonnante est une conséquence de l'étroite interdépendance des espèces. La préservation de 25 « points chauds » judicieusement choisis pourrait permettre de sauvegarder 44 % des plantes supérieures et 35 % des vertébrés qui peuplent la planète, estiment des écologues britanniques. Si l'himme n'était pas vraiment menacé par une perte de la biodiversité, la lutte pour préserver l'environnement pourrait l'aider à surmonter ses démons.

Les défenseurs de l'environnement sont des gens exaspérants. « Sauvez les tigres », implorent-ils. Mais pourquoi ? La première idée qui vient à l'esprit est que la disparition du tigre ne gênera pas grand monde. Elle pourrait même avoir des avantages : les habitants des villages en Inde ne seront plus victimes de leurs attaques ; le commerce illégal de la chasse disparaîtra ; et les militants pour la sauvegarde de la nature devront trouver autre chose à se mettre sous la dent.

D'un point de vue plus large, l'évolution est, par définition, changement. Quoi qu'il arrive, un mammifère comme le tigre devrait subsister quelques millions d'années avant de s'éteindre - ou bien il évoluera et deviendra quelque chose d'autre. Des espèces disparaissent, remplacées par de nouvelles. La mort n'est, dit-on, qu'une façon pour la nature de nous amener à relativiser la vie. Quelle importance, dans ce cas, si c'est l'homme qui détruit, et non pas un processus naturel tel que maladie ou changement climatique ?

Parfois, cependant, la mort supprime un nombre colossal d'espèces en un temps relativement bref, beaucoup trop bref pour que ces espèces se reconstituent selon le grand cycle de l'évolution et de l'extinction. Depuis 530 millions d'années, cinq de ces « extinctions en masse » se sont produites. La plus importante, à la fin de l'ère permienne, voilà 251 millions d'années, a éradiqué plus de 96 % de toutes les espèces. Celle de la fin du crétacé, il y a 65 millions d'années, arrive loin derrière, en dépit de la célébrité de ses principales victimes, les dinosaures. Peut-être sommes-nous en train d'assister aujourd'hui à un nouvel épisode de ce type, accéléré par nos propres agissements.

Que se produit-il une fois la vague d'extinction passée ? Combien de temps la biodiversité met-elle à recouvrer toute sa richesse ? D'autant plus longtemps, pourrait-on penser, que la destruction est massive. Faux, affirment deux scientifiques américains dans le numéro du 9 mars de l'hebdomadaire Nature. James Kirchner (université de Californie, Berkeley) et Anne Weil (université Duke, Caroline du Nord) ont étudié ce que les fossiles nous disent du rapport entre extinction et repeuplement. Leurs conclusions sont claires : la reconstruction de l'écosystème prend toujours environ 10 millions d'années, quelle que soit la sévérité de l'extinction qui l'a précédée.

L'idée selon laquelle un écosystème met davantage de temps à se reconstituer quand l'extinction est importante repose donc sur une hypothèse fausse, qui veut que les espèces vivent à peu près sans relation entre elles. Selon cette logique, la reconstruction de l'écosystème se limiterait à remplir des niches écologiques vides : plus la destruction est importante, plus cela prendrait de temps. Le problème est que les espèces sont interdépendantes. Elles constituent en elles-mêmes des niches écologiques et la destruction d'une seule nuit à beaucoup d'autres. Pour reprendre notre exemple initial, le tigre est un grand prédateur qui influe sur l'équilibre de tout son environnement. Il se nourrit d'animaux qui, eux-mêmes, se nourrissent de végétaux. Chaque tigre abrite des parasites, est porteur de maladies. Sa disparition, comme celle d'une espèce, quelle qu'elle soit, peut donc avoir des conséquences d'une grande portée. Une destruction simultanée de grande ampleur rendra donc très difficile l'apparition d'espèces nouvelles. Cela explique pourquoi les extinctions sont toujours suivies d'une période au cours de laquelle la flore et la faune restent pauvres. La végétation qui pousse sur les lieux où des bâtiments ont été démolis récemment est très peu diversifiée.

De même, à l'échelle de la planète, il semble que seules des fougères ont existé durant les centaines de milliers d'années qui ont suivi l'extinction de la fin du crétacé. Le phénomène est comparable aux difficultés rencontrées par les colons lorsqu'ils sont arrivés sur des terres nouvelles : sans infrastructure en place, tout était à faire. Il a fallu beaucoup de temps à ces pionniers pour installer des populations autonomes, même si leur travail a facilité l'existence de ceux qui leur ont succédé.

        Un premier pas

Quand la nature repeuple la planète, elle suit un calendrier qui lui est propre. Et le premier déterminant du renouveau - ainsi que l'ont montré Weil et Kirchner à partir des fossiles des 530 derniers millions d'années - c'est l'interdépendance des espèces. Ce message est sans appel : si nous détruisons les derniers tigres qui existent, nous ne reverrons plus jamais d'animal qui leur ressemble. Mais si les tigres sont détruits en même temps que la jungle où ils vivent, alors il faudra peut-être 10 millions d'années pour que réapparaissent d'autres grands prédateurs.

Autrement dit, même si l'homme survit encore quelques millions d'années (car notre espèce, comme tous les mammifères, devra ensuite s'éteindre ou évoluer), il faudra plus de temps que cela à l'écosystème pour se remettre des destructions qu'il lui aura causées. L'animal qui succédera au tigre ne sera pas chassé par l'homme.

Sa préservation dépasse donc son propre cas. Les tigres ne sont que des « vedettes » susceptibles de sensibiliser l'opinion. S'il s'agissait de sauver le ver solitaire ou le frelon, les responsables des campagnes de sauvegarde recueilleraient évidemment moins d'argent. Pourtant, ils sont tout aussi indispensables à la santé générale de l'écosystème. Chaque fois qu'une espèce disparaît, l'écosystème qui l'abrite est un peu plus affaibli dans ses capacités à résister aux changements de l'environnement. Exemple parmi d'autres : l'équipe de David Tilman (université du Minnesota) a récemment montré que les parcelles expérimentales de prairie comportant peu d'espèces sont moins à même de résister à la sécheresse que d'autres au peuplement plus varié.
Sauver le tigre est un premier pas. Mais cela ne suffit pas : la conservation est avant tout une question d'écosystème et d'habitat.

        Une érosion accélérée du vivant

Les formes de vie décrites à ce jour comportent entre 1,5 et 1,8 million d'espèces (selon les critères de classification retenus), parmi lesquelles 360 000 plantes et micro-organismes, 990 000 invertébrés, 45 000 vertébrés. Terrible constat : la plupart sont désormais en voie d'appauvrissement ou de disparition, à une vitesse mille à dix mille fois supérieure à celle des grandes périodes géologiques d'extinction.

Urbanisation et industrialisation, déforestation et agriculture intensive (moins de trente espèces végétales fournissent plus de 90 % des denrées alimentaires de la population mondiale) : les raisons pour expliquer ce déclin massif sont multiples. Si rien ne vient inverser la tendance, et si l'on continue de détruire au rythme actuel la forêt tropicale humide (où vivent 50 % des espèces connues et l'immense majorité des espèces inconnues), on estime que 25 % de toutes les espèces animales pourraient être rayées de la surface du globe avant 2025.

Nous remercions le site Webencyclo  pour sa documentation