Très cher pétrole

Depuis l'avènement du moteur à explosion et de l'automobile au début du XXe siècle, l'« huile de pierre » (petroleum en latin) est devenu le carburant de l'économie. La part du pétrole dans la consommation totale d'énergie n'a cessé de croître jusqu'en 1970, atteignant à cette date un maximum de 45 % à l'échelle mondiale. Cette situation de dépendance fut illustrée par les chocs pétroliers de 1973 et 1978 qui marquèrent le début d'une longue récession économique.

        L'« or noir » de la seconde révolution industrielle

C'est aux États-Unis que commence en 1859 l'ère de « l'or noir » : très précisément à Titusville, en Pennsylvanie, où Edwin Drake, modeste conducteur de train, découvre une nappe à 23 mètres de profondeur en forant le premier puit de pétrole productif. Jusqu'au tournant du XXe siècle toutefois, le pétrole demeure essentiellement utilisé pour l'éclairage. Il prendra toute son importance avec la mise au point du moteur à explosion (entre 1865 et 1885) et l'avènement de l'automobile. L'augmentation spectaculaire de la production de pétrole accompagne la révolution des transports – inaugurée par la production en masse de véhicules (la fameuse « Ford T ») chez Ford à partir de 1908 –, celle du travail (avec la taylorisation, nouvelle organisation du travail pour accroître la productivité) et le boom de la consommation.

Puit de pétrole

Avec l'essor de la pétrochimie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le pétrole devient la matière première minérale la plus utilisée. De cette huile visqueuse piégée dans les roches sédimentaires, les raffineries, maillons essentiels de la chaîne pétrolière, tirent des produits qui servent à la fabrication de plastiques, de textiles et de résines synthétiques, de détergents et d'engrais, de peintures et de solvants ou encore d'explosifs. La pétrochimie est également indissociable de l'industrie pharmaceutique et cosmétique. Même le graphite utilisé par l'industrie nucléaire est issu du coke de pétrole.

Tête d'un puits de pétrole non jaillissant, équipé d'une pompe à balancier

        Les chocs pétroliers : alerte à la dépendance

Les besoins en pétrole ne cessent de croître corrélativement à l'expansion industrielle qui suit la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs phénomènes accroissent la dépendance des pays industrialisés. À partir de 1948, la production américaine ne suffit plus à satisfaire la demande nationale : les États-Unis deviennent importateurs de pétrole. Dès lors, la référence n'est plus le pétrole du golfe du Mexique mais le pétrole du Moyen-Orient, les pays du golfe Arabo-Persique assurant au début des années 1970 plus du tiers de la production mondiale. Par ailleurs, des prix relativement bas ont favorisé la reconversion au fioul des centrales auparavant alimentées en charbon.

Dès lors, les mesures prises en 1973 par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) atteignent de plein fouet les États industrialisés. Engagés dans la guerre du Kippour, les membres de l'OPEP décident un embargo contre les pays soutenant Israël (au premier rang desquels les États-Unis) et une réduction de leur production de 25 %. Les prix sont multipliés par quatre : l'Occident et le Japon découvrent la menace de pénurie.

Le scénario se répète cinq ans plus tard, lorsqu'à la grève des travailleurs pétroliers iraniens succède la guerre opposant l'Iran et l'Irak, deux grands producteurs. Nouvelle panique, nouvelle flambée des prix : en onze ans, le prix du pétrole aura été multiplié par dix-huit. La poussée inflationniste est d'autant plus forte que le prix de toutes les sources d'énergie augmente également. L'alourdissement de la facture pétrolière pèse directement sur la balance commerciale des pays importateurs. Le choc sera plus brutal encore pour les pays sous-développés non producteurs de pétrole.

La puissance de l'OPEP

L'OPEP a été créée en 1960 par le Venezuela, l'Arabie saoudite, l'Iran, l'Irak et le Koweït, pour coordonner les politiques de production et d'exportation des pays-membres. Outre ses cinq membres fondateurs, l'OPEP s'est renforcée de six autres nations : l'Algérie, l'Indonésie, la Libye, le Qatar, le Nigeria et les Émirats arabes unis. Ces onze pays détiennent 75 % des réserves connues de pétrole brut. L'Équateur et le Gabon, qui avaient rejoint les rangs de l'OPEP, s'en sont retirés respectivement en 1992 et 1996.

Installation pétrolière à Abqaiq en Arabie saoudite

Installation pétrolifère à Abqaiq, en Arabie saoudite. Réservoirs et conduites acheminent le pétrole vers le port exportateur de Ra's Tannura.

Selon l'hebdomadaire Pétrostratégies, l'OPEP devrait engranger cette année plus de 255 milliards de dollars de revenus d'exportations pétrolières. Au troisième trimestre, les revenus d'exportations ont atteint 70 milliards de dollars, ce qui représente une hausse de 70 % par rapport à la même période l'année dernière. Et d'après les prévisions, la part de l'OPEP dans les exportations mondiales devrait, pour la première fois depuis 18 ans, dépasser en 2000 la barre des 50 %.

Le siège de l'OPEP est établi à Vienne, en Autriche. L'organisation est actuellement présidée par M. Ali Rodriguez Araque, ministre de l'Énergie et des Mines vénézuélien.

        Un troisième choc pétrolier ?

Dès 1974, les pays importateurs décident de réduire leur dépendance en menant notamment une politique d'économie d'énergie. L'OPEP est obligée de changer de politique et les prix baissent fortement au milieu des années 1980. Ce « contre-choc pétrolier » démontre l'impact du cours du pétrole sur la croissance : les prix bas contribuent à la reprise de l'activité. Or, celle-ci entraîne une expansion de la demande en produits pétroliers, d'autant plus importante que les efforts de maîtrise de l'énergie se sont relâchés. Entre 1990 et 1999, la consommation de pétrole de l'Amérique du Nord et de l'Europe a ainsi augmenté de 11 %. Et la demande croît considérablement dans les pays émergents, qui rattrapent leur retard d'industrialisation.

C'est dans ce contexte, que l'Arabie saoudite, le Venezuela et le Mexique décident, en mars 1999, de restreindre la production. Le baril de pétrole – unité de référence équivalant à 159 litres – passe de moins de 10 dollars à 35 dollars. Exprimée en francs constants, l'augmentation est d'ampleur équivalente à celle du premier choc pétrolier.

Les effets sur la croissance mondiale demeurent incertains. Pour les pays de l'Union européenne, la faiblesse de l'euro accentue le renchérissement (le pétrole s'achète en dollars). Plus globalement, les marges de manœuvre sont étroites. Les stocks constitués par les États consommateurs sont au plus bas. Parmi les grands producteurs, seule l'Arabie saoudite et, dans une moindre mesure, les Émirats arabes unis, le Koweït et la Libye, ont la capacité d'ouvrir rapidement les vannes.

Les consommateurs

L'Amérique du Nord et l'Europe occidentale absorbent 52 % du pétrole utilisé dans le monde. Les États-Unis ont toujours été les plus gourmands : ils en consomment un quart à eux seuls.

Un autre quart est consommé par les pays asiatiques (5,8 % pour la Chine). En comparaison, l'Afrique n'a utilisé, en 1999, que 3,3 % du pétrole mondial.

[source : Comité professionnel du pétrole]

Une arme stratégique

Parce que sans lui, la machine industrielle s'arrête de tourner, le pétrole ne peut être considéré comme une matière première parmi d'autres. Dès les origines de la saga pétrolière, l'« or noir » est donc l'objet de toutes les convoitises. Le Moyen-Orient, où les premiers gisements sont découverts avant la Première Guerre mondiale, sera un champ de bataille privilégié. C'est là que se concentrent les deux tiers des réserves connues sur la planète.

        Le nerf de la guerre

En 1904, la découverte de pétrole en Perse, par l'Anglais William Knox d'Arcy, scelle le destin de la région pour le siècle à venir. Bien que la production du Moyen-Orient demeure marginale dans la première moitié du siècle, le contrôle de son sous-sol prometteur commande en grande partie la politique de partage des puissances coloniales et celle des compagnies, qui s'entendent pour exploiter les gisements.

Lors de la Première Guerre mondiale, les États prennent la mesure des enjeux pétroliers. Sur terre, dans les airs et sur les mers, l'approvisionnement en pétrole se révèle une arme décisive. La France doit faire appel aux Américains pour assurer son ravitaillement en carburant, les Allemands ayant de leur côté pris le contrôle des champs pétrolifères roumains en 1916. Durant le second conflit mondial, les difficultés de ravitaillement handicapent les puissances de l'Axe et gouvernent en partie leur stratégie militaire.

Après 1945, la donne pétrolière se modifie. Le golfe Arabo-Persique devient la première région productrice, en même temps qu'apparaissent de nouveaux producteurs sur tous les continents. Les compagnies internationales dominent certes encore le marché jusque dans les années 1960, mais à mesure qu'ils s'émancipent, les anciens pays colonisés revendiquent la souveraineté sur leurs ressources, et entendent bénéficier de la rente pétrolière pour financer leur développement.

Des réserves inégalement réparties

La nature a plus richement doté certaines régions, et cette disparité est d'ailleurs une source importante de conflits. Au 1er janvier 2000, le Moyen-Orient concentrait 66,5 % des réserves prouvées, l'Arabie saoudite possédant plus du quart des ressources mondiales.

Au deuxième rang des régions pétrolières se trouve l'Amérique latine avec 8,8 % des réserves, dont 7,1 % au seul Venezuela. Le continent africain recèle 7,4 % des réserves (2,9 % pour la Libye, 2,2 % au Nigeria). Viennent ensuite l'ex-URSS (5,6 % des réserves dont 4,8 % en Russie), l'Amérique du Nord (5,4 % dont 2,8 % au Mexique et 2,1 % aux États-Unis) et l'Europe occidentale (seulement 1,8 %).

Le classement des producteurs reflète cette inégale répartition : le Moyen-Orient assure 30,9 % de la production mondiale. L'Arabie saoudite est le premier producteur (12,1 % en 1999), devant les États-Unis (10,5 %) et la Russie (8,6 %). Viennent ensuite l'Iran (5,1 %), le Mexique (5 %), le Venezuela et la Chine (4,7 % chacun), la Norvège et le Royaume-Uni (respectivement 4,4 % et 4,1 %).

        Tempêtes sur le golfe

Après la création de l'OPEP, en septembre 1960, les nationalistes arabes disposent d'une arme nouvelle. Dès la guerre des Six-Jours, en 1967, les États arabes suspendent durant quelques mois leurs livraisons aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, qui soutiennent Israël. Ils utilisent de nouveau l'embargo pétrolier en 1973, lors d'une autre guerre avec Israël, la guerre du Kippour.

Si le pétrole est l'un des enjeux de la première guerre du Golfe (Iran-Irak, 1980-1988), il est clairement au cœur de la seconde (1990-1991). Saddam Hussein reproche au Koweït de maintenir artificiellement des prix bas alors que son pays a besoin des revenus pétroliers pour financer sa reconstruction après la guerre Iran-Irak. Il vise également le contrôle des champs pétrolifères frontaliers. En retour, l'Occident, mené par les États-Unis, entend défendre ses intérêts de consommateur, qui lui interdisent de laisser le dictateur irakien contrôler 20 % des réserves mondiales (10 % en Irak, 10 % au Koweït) et déstabiliser une région si vitale. On comprend la puissance symbolique des images des puits koweïtiens en flamme. Il n'en allait pas seulement de l'écologie.

Les tensions pétrolières permettent aujourd'hui aux pays de l'OPEP, forts d'une nouvelle cohésion, de prétendre peser dans le jeu diplomatique autour du conflit israélo-palestinien. Fin septembre 2000, le quotidien arabe Al-Qud al-Arabi appelait les pays occidentaux à payer le prix politique d'une éventuelle augmentation de la production de l'OPEP (demandée par les pays importateurs pour faire baisser le prix du pétrole) : le rétablissement de la souveraineté arabo-musulmane sur Jérusalem, et une révision de la politique menée à l'égard de l'Irak.

« Pétrole contre nourriture »

À l'issue de la seconde guerre du Golfe, l'arme pétrolière s'est retournée contre le régime irakien puisqu'un embargo a été imposé au pays par la résolution 661 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies dès le 6 août 1990. En décembre 1996, l'embargo pétrolier est assoupli : en vertu de la résolution dite « pétrole contre nourriture », Bagdad peut exporter deux millions de barils par jour pour subvenir aux besoins de la population en nourriture et en médicaments.

À la faveur de la crise actuelle, on a entendu le ministre de l'Économie et du Commerce irakien rappeler que l'Irak a le pouvoir de perturber le marché. Saddam Hussein a même déclaré qu'il envisageait de stopper les exportations d'hydrocarbures pour que l'ONU accepte de renégocier les conditions de l'embargo.

        L'or noir de la Caspienne

Toujours en quête de nouveaux gisements, les compagnies pétrolières occidentales se sont engouffrées dans la brèche ouverte par l'effondrement de l'URSS. Les premières prospections, dans les dernières années de l'empire soviétique, avaient fait naître le mirage d'un nouveau golfe en mer Caspienne. Mais les réserves demeurent incertaines. Les estimations varient entre 75 milliards et 200 milliards de barils (chiffre équivalent aux réserves de l'Irak et de l'Iran). De plus, les conditions d'exploitation sont difficiles, particulièrement sur les gisements kazakhs, qui sont en outre à forte teneur en soufre (ce qui nécessite des procédés de raffinage plus coûteux).

La bataille diplomatico-économique ne s'en est pas moins engagée dans cette région instable. Les États-Unis, particulièrement actifs, défendent ainsi un projet d'oléoduc reliant Bakou, la capitale azérie, à Ceyhan en Turquie. Le tracé a l'avantage de contourner la Russie et l'Iran, deux puissances d'Asie centrale dont il est préférable de ne pas être dépendant.

Un marché complexe

La récente hausse du pétrole brut a immédiatement eu des répercussions sur le prix des carburants à la pompe, ce qui a provoqué le mécontentement des consommateurs. Excédés, professionnels de la route, pêcheurs et agriculteurs ont manifesté leur grogne dans plusieurs pays européens. Les taxes perçues par les gouvernements, les profits des compagnies, la politique de l'OPEP et les errances des spéculateurs sont pêle-mêle dénoncés. Le marché pétrolier fait en effet intervenir ces quatre catégories d'acteurs, aux intérêts souvent divergents.

        D'un cartel à l'autre

Longtemps seuls maîtres du marché, les compagnies pétrolières internationales ont assis leur domination par une politique de cartel (partage des gisements entre elles, entente sur les prix). À partir des années 1950 cependant, leur puissance monopolistique est attaquée. Aux sociétés indépendantes s'ajoutent les compagnies nationales créées par des États industrialisés, soucieux de protéger leurs intérêts : l'ENI en Italie, en 1953, Elf-Erap en France, en 1966…

La naissance de l'OPEP modifie davantage le rapport de force. L'accélération de la demande au cours des années 1960 permet à l'OPEP d'atteindre les objectifs affichés dans la charte fondatrice de Caracas. De 1970 à 1980, elle décuple ses revenus pétroliers (en dollars courants). Parallèlement, ses membres obtiennent le contrôle de leurs ressources pétrolières, les uns par des nationalisations (l'Algérie, la Libye et l'Irak, en 1971 et 1972), les autres par la négociation. En octobre 1972, un accord-cadre, signé à New York, prévoit une prise de participation majoritaire des pays producteurs dans des consortiums regroupant compagnies étrangères et sociétés nationales.

Dès lors, l'OPEP est maître des prix, dans la mesure du moins où ses membres parviennent à définir une position commune. Lorsque, pour maintenir les prix, l'Arabie saoudite promeut, en 1982, une politique de contingentement de l'offre par quotas, elle doit faire face à l'opposition de l'Iran et de l'Irak, alors en guerre et qui ont besoin d'énormes capitaux pour reconstruire, ou du Nigeria, pays très peuplé qui ne peut assumer une baisse immédiate de ses revenus. De fait, trois pays seulement observent les quotas fixés.

Par la suite, l'OPEP doit faire face à la concurrence d'autres pays tels que le Mexique, la Norvège ou le Royaume-Uni, dont la montée en puissance est d'ailleurs favorisée par l'enchérissement du coût du pétrole. Tant que ceux-ci n'acceptent pas de réduire leur production, la politique de quotas de l'OPEP est vouée à l'échec. À l'inverse, si elle peut de nouveau être appliquée après 1986, c'est grâce à la coopération de certains de ces concurrents comme le Mexique et la Norvège. Jusqu'en 1999, cette politique permet de stabiliser les prix à un niveau acceptable par tous.

« Les majors »
Les grandes compagnies pétrolières n'ont pas perdu toute leur puissance. Multinationales par définition, elles gardent la maîtrise de la chaîne pétrolière, compensant les risques inhérents à la prospection et à l'exploitation par une présence à tous les autres niveaux : transport, raffinage, distribution et aussi pétrochimie. Toutes figurent dans le classement des cinquante plus grandes entreprises mondiales.

Actuellement, huit « majors » dominent le marché : l'américaine Exxon-Mobil, l'anglo-américaine BP-Amoco-Arco, l'anglo-néerlandaise Shell, les américaines Chevron et Texaco qui viennent de fusionner (formant ainsi la quatrième compagnie pétrolière mondiale), la française Total Fina, l'italienne ENI et la française Elf (classées selon l'importance de leur production en 1999 et de leur capacité de raffinage).

        L'intervention des pouvoirs publics

À partir de 1974, les États consommateurs mettent en œuvre des politiques visant à desserrer les contraintes énergétiques. La plupart s'efforcent de réduire la demande de produits pétroliers par des programmes d'économies d'énergie. Ils encouragent également le développement d'autres filières, en subventionnant les énergies nationales, rendues plus compétitives par l'augmentation des prix du pétrole et du fioul. Le charbon fait un retour en force en Allemagne et au Royaume-Uni, le nucléaire devient majoritaire dans la production d'électricité aux États-Unis ou en France (80 % de l'électricité est aujourd'hui d'origine nucléaire dans l'Hexagone).

Les statistiques reflètent les résultats de cette politique : entre 1979 et 1981, la consommation de combustibles liquides baisse de 12 % dans les grands pays industrialisés (Amérique du Nord, Europe occidentale et Japon). Parallèlement, les États consommateurs agissent sur l'offre, en diversifiant leurs fournisseurs. Les États-Unis incitent fiscalement les compagnies à extraire davantage sur le continent américain. Une loi de 1973 a décidé la construction d'un pipeline traversant l'Alaska, qui est mis en service en 1978. La Grande-Bretagne et la Norvège mettent en exploitation les gisements de la mer du Nord. Au Mexique ou au Pérou, en Malaisie ou en Birmanie, au Zaïre ou en Côte d'Ivoire, les productions augmentent.

L'une des caractéristiques du marché de l'énergie doit être soulignée : les modifications structurelles ne produisent leurs effets qu'après plusieurs années. Il faut six à dix ans pour mettre en service une nouvelle centrale thermique au charbon, une centrale hydroélectrique ou nucléaire. Dans ces conditions, seule une hausse durable du prix du pétrole, anticipée comme telle par les opérateurs, justifierait de lourds investissements dans les énergies alternatives, ce qui pourrait déboucher sur une profonde transformation du paysage énergétique.

« La chasse au gaspi »
Au lendemain du premier choc pétrolier (1973), un petit personnage apparaît dans la vie des Français, le « gaspi », qu'il faut traquer au nom de l'intérêt particulier et général. Pour réduire la facture pétrolière, l'État limite la vitesse sur les routes, les températures de chauffage pour les immeubles collectifs, ou subventionne l'isolation des bâtiments…Cette politique aura permis d'économiser l'équivalent de 30 millions de tonnes de pétrole entre 1973 et 1990.

Un temps oubliée, la « chasse au gaspi » redevient d'actualité : en septembre 2000, le gouvernement de Lionel Jospin annonce un nouveau plan d'économies d'énergie. Il est vrai que la France doit aussi se conformer au protocole de Kyoto, visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre (dont une grande partie provient de la combustion des énergies fossiles telle que le pétrole).

        Le jeu du marché

Par le système de subventions et de taxes, l'établissement de normes (notamment en matière de protection de l'environnement), les États influencent donc l'offre, qui demeure définie par les producteurs, et la demande émanant des consommateurs. C'est dans ce cadre qu'intervient le jeu du marché, ou plutôt des marchés. Les réseaux traditionnels ont en effet été bouleversés par les chocs pétroliers et leurs conséquences. L'apparition de nouveaux producteurs, l'entrée en service de raffineries dans de nombreux pays en développement, ont contribué à la création de « marchés spots », jusqu'alors relativement inexistants.

À côté de ces marchés où se réalisent les transactions sur des cargaisons isolées, existent aussi des marchés à terme pour les pétroles bruts et les produits raffinés. Les cours, ici et là, ne sont pas uniquement déterminés par les prix officiels de l'OPEP, ayant pour référence l'Arabian Light. La simplicité n'est pas la règle : à New York, on échange du light sweet crude, à Londres, sur l'International Petroleum Exchange, du brent, qualité de référence de la mer du Nord et étalon du marché libre. Et les différents marchés rétroagissent les uns sur les autres.

Avant que le produit final ne parvienne au consommateur, les compagnies prélèvent leur tribut. Répercutant les hausses de cours sur le produit distribué, elles en tirent des profits directs : selon les chiffres annoncés pour le premier semestre 2000, Total Fina a ainsi vu ses profits progresser de 165 % en un an.

Les États prélèvent ensuite leurs taxes, éléments d'orientation de la demande… et sources de revenus substantiels. En France, la taxe intérieure sur les produits pétroliers et la taxe de l'Institut français du pétrole représentent 70 % du prix d'un litre de carburant. Ainsi, début septembre 2000, le super sans plomb 95 était de 2,23 FF hors taxe, de 7,28 FF avec les taxes.

Quel avenir ?

S'il est en concurrence avec d'autres sources d'énergie pour la production d'électricité et de chauffage, le pétrole demeure incontournable pour les transports et vital pour la très prospère industrie pétrochimique. En ce début de XXIe siècle, il couvre toujours plus de 40 % des besoins énergétiques mondiaux et sa part, selon toutes les prospectives, ne devrait pas décroître significativement dans les prochaines décennies.

        L'état des réserves

Construction de plates-formes pétrolières

La hausse actuelle du prix du pétrole s'inscrit dans un contexte de raréfaction des réserves, même si leur estimation est encore source de débat. Quand le prix du pétrole flambe, l'exploitation de nouveaux gisements devient rentable, on l'a vu après les deux premiers chocs pétroliers, lorsque des gisements reconnus mais encore inexploités ont pu être mis en production. C'est ce qui s'est passé pour les gisements de la mer du Nord, pour lesquels le coût de production peut pourtant atteindre 15 dollars par baril, quand le pétrole du Moyen-Orient a un coût de production de l'ordre de 1 dollar. L'ensemble des gisements offshore (en mer) représentent aujourd'hui près du tiers de la production mondiale de pétrole.

Construction de plates-formes pétrolières à Göteborg.

Les progrès de la prospection et des technologies d'exploitation permettent – ou promettent – l'exploitation de gisements plus difficiles d'accès. Ainsi, les gisements en Caspienne, en offshore profond dans le golfe du Mexique, au Brésil et dans le golfe de Guinée, recèleraient quelques dizaines de milliers de barils.

À terme, le taux de récupération du pétrole contenu dans les gisements pourrait également être augmenté, d'environ 35 % aujourd'hui à 50 %. Les spécialistes parient aussi sur ces « nouveaux pétroles » que constituent les hydrocarbures contenus dans les schistes bitumeux ou les sables asphaltiques, ou encore le méthane piégé dans les grandes profondeurs de l'océan.

Il n'en demeure pas moins que la consommation progresse plus vite que les découvertes. En l'état des techniques de production, le monde dispose d'une quarantaine d'années d'extraction. Il faudra donc s'habituer à payer cher notre pétrole.

        Quelles énergies alternatives ?

Un prix élevé du pétrole aurait au moins une vertu, celle d'augmenter la compétitivité des énergies alternatives. Ce schéma s'est d'ailleurs appliqué au lendemain des chocs pétroliers. Un constat pourtant vient tempérer l'optimisme des partisans des énergies « vertes », moins polluantes. La substitution s'est alors faite au profit d'autres sources fossiles : charbon, gaz naturel, uranium (nucléaire). On continue donc à dépendre de ressources épuisables, génératrices de pollutions et de déchets, pour 90 % de la consommation énergétique.

Panneaux solaires

 La centrale solaire Eurelios, près de Catane, en Sicile. Elle est l'un des rares prototypes de captation directe de l'énergie solaire à haut potentiel.  

La source renouvelable la plus exploitée, l'énergie hydraulique, demeure marginale. Et les ambitieux programmes d'équipement hydroélectriques, mis en œuvre principalement en Asie, sont très contestés du point de vue de l'écologie et du respect des droits des populations.

Dans son rapport prospectif pour l'an 2000, le Département américain à l'énergie estime que l'ensemble des énergies renouvelables (solaire, éolienne, hydroélectrique, géothermique, biomasse…) ne compteront que pour 8 % dans le bilan énergétique mondial en 2020. Trop chères, encore inexploitables en grosse quantité, difficiles à transporter, elles ne seront développées que sous la pression environnementale. C'est pourquoi les écologistes militent pour un mécanisme de taxes qui provoquerait une hausse délibérée des prix des énergies traditionnels à la consommation. Un projet qui n'est pas politiquement porteur.

Les carburants verts
Au dernier Salon mondial de l'automobile de Paris, en octobre 2000, on a pu constater que les voitures électriques n'avaient plus la cote. Leurs batteries demeurent onéreuses, les équipements collectifs rares. Résultat : elles ne se vendent guère. Les carburants verts, eux, relèvent encore de l'anecdotique. Le programme « pro-alcool » lancé en 1979 par le gouvernement brésilien fut un échec : le prix de revient de l'éthanol, issu de la canne à sucre, était deux à trois fois plus élevé que celui du pétrole. Aujourd'hui, pourtant, le Brésil relance le pari de la canne à sucre, cette fois associée au colza, pour produire un carburant susceptible de convenir aux moteurs traditionnels.

D'une manière générale, les techniques de production d'éthanol, issus de la fermentation de végétaux, et de méthanol, obtenu par vapogazéification du charbon, de l'asphalte, de gaz naturel ou de la biomasse, sont maîtrisées. Mais le méthanol a un pouvoir calorifique inférieur au pétrole, et la rentabilité de ces hydrocarbures synthétiques demeure insuffisante pour qu'ils concurrencent sérieusement le pétrole.

        Le facteur écologique

Pétrole, gaz et charbon resteront les énergies dominantes du XXIe siècle. La catastrophe de Tchernobyl, en 1986, a singulièrement diminué l'attrait du nucléaire. L'Allemagne, après la Suède, a décidé début 2000 l'abandon de la filière, sans toutefois afficher ses choix pour le futur.

Faudra-t-il une catastrophe de même ampleur pour remettre en question l'hégémonie du pétrole ? Après le naufrage de l'Erika, qui a libéré la moitié d'un chargement de 30 000 tonnes au large de la Bretagne et de la Vendée, en décembre 1999, l'année 2000 a connu son lot de marées noires, sur les côtes d'Afrique du Sud comme au Brésil, où la baie de Rio de Janeïro a été souillée par 1 300 tonnes de pétrole, avant que 4 000 tonnes échappées d'une raffinerie ne se déversent dans le fleuve Paraná.

Un rapport de l'université de Londres, daté de septembre 2000, dresse un sinistre bilan de l'exploitation pétrolière en Amazonie équatorienne. La contamination des eaux et des sols y a entraîné une hausse anormale des fausses couches et des cancers parmi la population.

Tandis que les études alarmantes se succèdent sur les conséquences sanitaires de l'exposition aux gaz et particules émis par les automobiles, les États industrialisés n'ont toujours pas ratifié le protocole de Kyoto. Aux États-Unis, les émissions de gaz carbonique ont augmenté de 11 % depuis 1990. Elles se sont à peine stabilisées dans l'Union européenne.

Le protocole de Kyoto

Signé en 1997 dans le cadre d'une conférence mondiale sur le réchauffement de la planète, le protocole de Kyoto prévoit que les pays développés réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre entre 2008 et 2012, de 5,2 % par rapport à leur niveau de 1990.

L'objectif est en fait très ambitieux : les émissions ayant continué de progresser dans la plupart des pays concernés, il s'agit en réalité d'une diminution de 30 % des émanations. Dans ces conditions, la mise en œuvre du protocole demeure l'objet de vifs débats, portant notamment sur les dispositifs d'échanges de droits d'émission (les « permis de polluer »).

Nous remercions le site Webencyclo  pour sa documentation